« Tout change mais rien ne change, la géographie conserve ses droits. »

Dématérialisation, digitalisation, virtualisation, ces termes que nous entendons tous les jours et qui qualifient le monde dans lequel nous vivons laissent à penser que l’Internet et sa nébuleuse cloud sont insaisissables et invisibles. Pourtant, il n’en est rien car pour faire fonctionner tout cela et permettre des échanges ultra-rapides, c’est une infrastructure on ne peut plus physique qui est nécessaire. Elle est notamment composée de câbles sous-marins et de data centers. Sans eux, Internet n’existerait pas et tout ce à quoi il nous donne accès non plus. Comme l’explique très simplement le journaliste anglo-saxon, Andrew Blum[1] : « Si Internet est un phénomène mondial, c’est parce qu’il existe des câbles sous l’océan ».
 
Selon le vice-président du centre de recherche Telegeography, Tim Stronge, les 278 câbles en service assurent aujourd’hui 99 % du transport des échanges. Le pourcentage restant est assumé par les liaisons satellites, beaucoup plus coûteuses.
 
Au bout de ces câbles : les data centers, qui se doivent d’être hyper-connectés pour faire fonctionner toutes les applications des entreprises. Grâce à ce maillage sous-marin notamment et au positionnement stratégique de certains data centers localisés aux points d’atterrissage des câbles, les échanges sont devenus intercontinentaux. Certains data centers situés à proximité de ces câbles deviennent alors des « gateways », c’est à dire des portes d’accès télécom permettant de desservir d’autres régions du monde. 
 
Aujourd’hui, les entreprises n’envisagent plus uniquement la localisation de leur data center dans les villes où l’économie est particulièrement concentrée comme à Paris, Francfort ou encore Madrid. Elles adoptent aussi une logique de « continent à continent » où des villes comme Stockholm, Marseille, Londres ou encore Vienne deviennent de véritables « hot spots ». 
Chacune de ces villes offre une ouverture vers des régions stratégiques : la Russie et la Scandinavie pour Stockholm, les Etats-Unis et l’Europe pour Londres, l’Europe Centrale et de l’Est pour Vienne, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie pour Marseille avec notamment l’installation en cours du câble sous-marin SeaMeWe-5 qui connectera la France à Singapour en 83 millisecondes. 
 
Selon une étude récente menée par Cisco[2], le trafic IP mondial devrait atteindre 168 exaoctets par mois d’ici 2019 (59,9 exaoctets par mois en 2014). Une très nette augmentation qui s’explique en partie par la croissance du nombre d’appareils connectés et qui sera largement dominée par l’échange de vidéos. A l’heure où le transport de données connaît une croissance exponentielle, cette infrastructure doit faire face à trois enjeux clés : augmenter la capacité, réduire le temps de latence tout en diminuant les coûts. L’objectif ultime étant d’améliorer toujours plus l’expérience de l’utilisateur final. 
 
Pour répondre à ces enjeux, deux options sont possibles au niveau des câbles : la première consiste à mettre à niveau les câbles existants, la seconde, à en installer de nouveaux. 
Ainsi, depuis 2013, on observe une vague d’investissements tournée vers « l’upgrade » mais aussi et surtout vers la pose de nouveaux câbles. Ces nouvelles installations sont associées à de nouveaux répéteurs à amplification optique avec laser qui permettent une sur-accélération du signal et donc une diminution du temps de latence. Pour les géants du high-tech qui souhaitent s’affranchir des opérateurs télécoms, souvent propriétaires des câbles existants, l’installation de leurs propres câbles est même devenue l’option privilégiée car elle ne représente pas un investissement si élevé au vu du profit net qu’ils génèrent chaque jour.
 
Existants ou nouveaux, il est intéressant de constater que les tracés des câbles sous-marins suivent le plus souvent les routes commerciales maritimes d’antan. Et celles-ci n’ont pas été choisies par hasard. En allant au plus court, on gagne en effet en rapidité, le temps de latence diminue et les coûts sont réduits.
 
Au final, tout change (nos usages, les appliances, etc.) mais rien ne change ! Pour ouvrir vers toujours plus d’efficacité et donner accès aux différentes régions du monde afin d’accroître les opportunités d’affaires, c’est la géographie qui prime. C’est elle qui détermine le tracé des câbles et qui doit prédominer dans le choix de la localisation des data centers. Comme depuis tout temps, la géographie conserve ses droits.
 
 
 Par Fabrice Coquio, président d’Interxion France.

[1]Tubes, journey to the center of the Internet, Andrew Blum, 2013
[2]  10e édition du Cisco Visual Networking Index™