Mathias Felk, Secrétaire d’État au Commerce extérieur, (photo d’ouverture) a répété à la radio hier soir que « la France envisage toutes les options, y compris l’arrêt pur et simple des négociations » autour du TAFTA, l’accord de libre-échange transatlantique entre l’Union Européenne et les États-Unis, un coup de semonce pour un projet prometteur.
Les discussions ont débuté à l’hiver 2013 et un accord est attendu cette année. Il doit déboucher sur la fin des barrières douanières, qui s’élèvent en général à 2 ou 3%, l’application de normes valables de part et d’autre de l’Atlantique et l’ouverture totale des marchés. Mais au-delà des chiffres, ce sont les normes qui donneraient de nouveaux droits aux entreprises qui soulèvent des polémiques. Cette remise en cause intervient au moment où la domination des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) sur l’internet incite un grand nombre d’acteurs français à lutter contre leur abus de position dominante. Framasoft (lire Dégooglisons Internet), par exemple, pousse à une remise en cause de cette hégémonie dans une série de documents de protestation : « Dégooglisons internet : cinq nouvelles raisons de se débarrasser des géants du web ».
TAFTA, une consistance encore mal connue
L’accord transatlantique de commerce et d’investissements apparaît souvent sous plusieurs dénominations, ce qui le rend parfois difficile à suivre. Les appellations qu’elles soient anglophones (TAFTA – Trans Atlantic Free Trade agreement ; TTIP – Transatlantic Trade and Investment Partnership) ou francophones (PTCI – Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement) correspondent pourtant au même projet. Pour ceux qui n’ont pas suivi ces négociations, elles sont organisées autour de trois piliers :
1-l’accès aux marchés (biens agricoles et industriels, services, marchés publics) ;
2-Les barrières au commerce de nature non tarifaire, mesures sanitaires et phytosanitaires et convergence réglementaire ;
3-Les règles (propriété intellectuelle et indications géographiques, énergie et matières premières, concurrence, règles d’origine, facilitation des échanges, développement durable).
Le problème, selon le Secrétaire d’État au commerce, est que « ces négociations se déroulent dans un manque total de transparence et dans une grande opacité« . Il assure que la France n’a reçu « aucune proposition sérieuse des Américains » depuis 2013. Du coté informatique c’est Axelle Lemaire (en photo ci-dessous), la secrétaire d’Etat responsable du numérique, qui à tiré la sonnette d’alarme. A l’assemblée, elle précisait :
« La négociation est-elle suffisamment transparente ? La réponse est non. Elle est toujours insuffisante, malgré nos demandes répétées » a-t-elle affirmé . Elle regrettait qu’ « il n’existe pas de document précis faisant état de l’avancée des négociations ». La Secrétaire d’Etat ajoutait : « Le flou entretient la suspicion. Il faut y mettre fin ».
Le point de vue des anti-TAFTA
Pour les opposants au libre-échange proposé par le TAFTA, le système de protection sociale serait aujourd’hui, mondialisation et numérisation aidant, en train de voler en éclats. Le commerce électronique, l’externalisation à tout prix, le morcellement du travail en tâches externalisées dans des pays sans protection sociale incitent les entreprises européennes à faire l’impasse sur tous les éléments obligatoires qui alourdissent les factures ou à s’installer dans des zones moins contraignantes. Sous l’angle de l’emploi, Internet n’est pas seulement un mode de fonctionnement et de nouveaux outils, c’est une révolution industrielle, qui bouleverse tous les secteurs et en premier lieu, le commerce. Et selon les sociologues qui s’inquiètent aussi de la montée des GAFA, c’est la classe moyenne, ceux qui sont au-dessus des salaires minimums qui en font les frais. En France, les cadres techniciens et employés des services informatiques, dont les entreprises sont en faillite ou sont transférées dans des zones où les salaires sont moindres, sont obligés de trouver des emplois où leurs compétences ne sont pas valorisées.
Même les data centers, (dont nous nous faisons les chantres depuis deux ans et demi) détruisent jour après jour les emplois locaux dans les services informatiques, à la faveur des économies procurées par le « supermarché du serveur » ouvert jours et nuits. Mais ce sont surtout les artisans, les petits commerçants, les agriculteurs, qui sont aussi le plus pris aux pièges d’une concurrence mondiale dans laquelle la grande distribution joue un rôle de rouleau compresseur. Le TAFTA accentuera ce phénomène. Gaspar Koenig, l’écrivain et philosophe libéral, intervenant aux assises de la sécurité, la semaine passée, défend justement ce projet de libre échange et le préconise, au nom d’une liberté qui profite au client par les prix et au commerçant par un marché plus large.
Il rappelle dans son livre « Le révolutionnaire, l’expert et le Geek » qu’à la première Révolution française de 1789, la nouvelle liberté offerte au commerce, selon un mode anglo-saxon, permettait à de nouveaux venus de prospérer et de s’opposer à une législation royale qui favorisait certains au détriment des autres. Depuis le 19e siècle, les deux révolutions industrielles successives ont permis ainsi l’émergence d’une classe moyenne assez instruite qui caractérise l’Europe de l’Ouest. Cette » middle class » va-t-elle se cliver ? Le libre échange va-t-il faire plonger les deux tiers de la classe moyenne dans une véritable paupérisation. C’est possible, mais ceux qui auront validé le TAFTA et la prédominance des grandes entreprises sur les Etats auront surtout laminé deux siècles de rêves sociaux.
Ci-dessous l’affiche des partisans Français du logiciel » libre » qui s’opposent à l’hégémonie des GAFA et en particulier de Google. Pour eux, c’est la mainmise de Google sur les informations personnelles qui est le plus inquiétant.