Lors de la réunion annuelle avec les analystes, Steve Ballmer a présenté l’ « état de l’Union Microsoft », qui sonne comme une sorte de bilan de ses années à la tête de Microsoft, sans oublier de donner des perspectives pour l’avenir
On n’est jamais mieux servi que pas soi-même. Depuis qu’il a annoncé sa décision de prendre sa retraite et jusqu’à ce qu’il quitte la direction de l’entreprise, Steve Ballmer a fait et fera l’objet d’analyses, de bilans, de notations, de commentaires… Autant donc donner à tous ses analystes professionnels ou du dimanche tous les éléments nécessaires pour étayer leurs commentaires. En un mot et en un seul, Microsoft est une entreprise unique, « second to none » comme on dit Outre-Atlantique. Il est vrai que les chiffres, dont Steve Ballmer est friand, sont éloquents.
Dans une présentation un peu particulière, Steve Ballmer s’est livré autant à une analyse du marché qu’à une présentation des forces et des faiblesses de Microsoft. Sur les dix dernières années, l’entreprise de Redmond a dégagé 220 milliards de dollars de bénéfices, plus que tous ses concurrents du secteur, y compris Apple, IBM, Google. Il est vrai que concernant ce dernier, la comparaison n’est pas très juste dans la mesure où il y a dix ans, Google était encore une quasi startup.
Et pourtant, ce résultat n’est pas apprécié à sa juste valeur par les marchés financiers pourrait poursuivre Steve Ballmer qui se présente comme « just a guy who owns 4 percent of Microsoft » car Apple et Google ont une capitalisation boursière plus grande. Et l’action Microsoft stagne depuis une décennie. L’entreprise est obligée de racheter ses propres actions pour en soutenir le cours. Elle vient d’ailleurs de se délester de 40 milliards pour une telle opération.
Microsoft se présente un peu comme « l’empire technologique du milieu », positionné entre trois sociétés essentiellement sur le marché grand public – Amazon, Google et Apple – et trois principalement présentes sur le marche de l’entreprise – Oracle, IBM et VMware. Cette présence sur ces deux marchés donne à Microsoft une place unique. C’est d’ailleurs cette simplification qui a guidé Microsoft dans l’organisation annoncée en juillet dernier. Fort de cette nouvelle organisation, quelles sont les opportunités qui s’offrent à Microsoft ? Steve Ballmer perçoit quatre grandes sources.
D’abord les Devices qui dans l’esprit du CEO de Microsoft doivent être compris comme « virtual et physical devices » : Windows PC est un virtual Device puisque Microsoft ne produit pas les machines mais la console Xbox, le smartphone Lumia ou la tablette Surface sont des « physical devices » que Microsoft fabrique réellement. D’ailleurs c’est peut-être là où Microsoft fait une erreur en mettant ces deux notions dans une même catégorie car il y jour un rôle différent. Dans le premier, il est un simple fournisseur de technologie – que ce serait-il passé si les utilisateurs avaient eu le choix d’acheter Windows ? – dans le second, il est fournisseur et concurrent. On se souvient des multiples procès concernant Office ou Internet Explorer dans lesquels l’éditeur était accusé de position dominante. Nokia possède déjà 80 % du marché Windows Phone. En rachetant le constructeur finlandais, devient concurrent direct de tous les fabricants de smartphone Windows. Pour l’heure, Steve Ballmer reconnaît volontiers que tout reste à faire dans les mobiles même s’il ne précise pas que Microsoft essaye depuis plus de 10 ans de conquérir ce marché : « Mobile devices, we have almost no share ».
Windows, considéré comme une famille de produits avec des déclinaisons pour les PC, les tablettes et les mobiles, reste essentiel. Et le PC reste au cœur du dispositif car c’est clairement là où Microsoft peut maintenir les avantages de sa position monopolistique : « We must do the job to ensure that the PC stays the device of choice for people when they’re trying to be productive in life ». Le PC pour produire du contenu, les tablettes pour le consulter, cette vision un peu simplificatrice est influencée par la présence d’Office. Car il existe de nombreuses activités personnelles ou professionnelles où les tablettes pourront devenir aussi des outils de production de contenu.
Office qui est avec Windows une des deux vaches à lait de Microsoft reste un produit d’avenir mais il va prendre des formes différentes avec Office 365 qui génère environ 1,5 milliard de dollars par an et peut constituer un véhicule pour d’autres applications SaaS. Pour l’heure on n’a pas vu encore grand-chose suite au rachat de Skype, mais il y a là un potentiel à faire fructifier. Et Office 365 pourrait résoudre un problème apparemment sans solution : le piratage de logiciels. Sur les 60 % des PC qui sont vendus au marché grand public, 15 à 20 % seulement achètent une version d’Office. La possibilité d’accéder en ligne à une telle application à des coûts plus faibles pourrait séduire une plus grande frange de la population (on connaît un phénomène comparable dans la musique) et ainsi réduire le phénomène du piratage. Par ailleurs, sans être explicite sur le sujet, Microsoft a indiqué qu’il développerait des logiciels de création de contenu sur les plates-formes non Windows, comprendre iPad et tablettes Android.
Le cloud avec Windows Azure constitue aussi une de ces opportunités. Certaines sociétés comme Oracle et VMWare jouent sur le terrain du cloud privé, d’autres comme Amazon ou Google sont principalement centrés sur le cloud public. Pour Steve Ballmer, Microsoft est un des rares fournisseurs capable de « faire le lien entre cloud public et cloud privé ».
Reste ce que Steve Ballmer appelle « the next big thing », la rupture technologique qui va donner à celui qui la développera un avantage important sur ses concurrents : Microsoft serait bien positionné pour la développer. Reste que Microsoft n’a jamais vraiment été une société d’innovation, plutôt une machine à fabriquer du logiciel, à le vendre efficacement et à faire de l’argent : « We have been very successful. We make a ton of money. We’re very proud of that »
Au moment de sa création, Bill Gates s’était donné comme objectif d’installer un PC sur chaque bureau et dans chaque foyer. Objectif pleinement atteint. Aujourd’hui , il s’agit de « create a family of device and services for individuals and businesses that empower people around the globe, at home, at work and on the go, for activities they value the most ». Clairement, le monde est devenu beaucoup plus complexe. C’est l’objectif de « One Microsoft » qui symbolise la réorganisation de juillet dernier et constituera la dernière empreinte de Steve Ballmer sur l’entreprise. Faire moins de choses mais les faire mieux telle est la consigne que voudra laisser Steve Ballmer à ses troupes. Restera à son successeur le soin de la mettre en œuvre.