Et c’est reparti comme en 2000. Une coalition d’éditeurs européens alerte la Commission européenne sur les pratiques anticoncurrentielles de Microsoft qui intègre de plus en plus de ses propres services dans Windows.

En 2001, le département de la justice condamnait Microsoft pour pratiques anticoncurrentielles et plaçait l’entreprise sous une surveillance de ses innovations et intégrations dans Windows pendant une décennie.
Parallèlement, en 2004, Microsoft se voyait contrainte par l’UE de proposer un Windows « N » dépourvu du Windows Media Player en Europe.

Depuis quelques années, à nouveau libéré du joug du DOJ, l’éditeur a peu à peu recommencé à intégrer dans Windows des logiciels au départ distribués séparément. C’est vrai du navigateur Microsoft Edge, mais c’est aussi vrai de OneDrive, de Teams (désormais intégré à Windows 11) ou même dans une moindre mesure d’Office 365 avec l’App Office (s’appuyant sur les Web Apps) intégrée dans Windows 11.

Ces dernières années, Slack mais aussi plusieurs acteurs européens se sont plaints à maintes reprises de telles intégrations et de la main mise de Microsoft sur l’univers des logiciels et services.

Certains rétorqueront qu’Apple fait de même sur MacOS et iOS (Safari, Facetime, iCloud…) et que Google en fait de même sur Android et ChromeOS. Ils ont raison.
Pour les grands de la Tech, il existe une logique à préinstaller leurs services sur leurs systèmes.

Mais une coalition menée par le fournisseur de stockage Nextcloud et comprenant notamment plusieurs acteurs français dont Jamespot, Linagora, Ecorp, Aqua Ray, Rapid.Space, Sendent, TalkSpirit, Whaller, vient de porter plainte auprès de « la Direction générale de la concurrence de la Commission Européenne » mais aussi après d’organismes nationaux en Allemagne et en France contre Microsoft pour dénoncer une pratique de « bundle » jugée anticoncurrentielle.

Même si Microsoft est plus particulièrement visée, le communiqué de la coalition précise que « d’autres firmes Big Tech comme Google et Amazon font la même chose et l’Union Européenne se doit de prendre position ». On notera au passage qu’Apple n’est pas nommé explicitement.

Selon la coalition, « Microsoft intègre Office 365 de plus en plus profondément dans son portefeuille de services et logiciels à commencer par Windows. OneDrive est poussé partout où les utilisateurs ont besoin de stockage et Teams est installé par défaut dans Windows 11. Cela rend impossible toute compétition avec leurs services SaaS. Microsoft, Google et Amazon ont accru leurs parts de marché de 66% en Europe alors que les fournisseurs locaux ont vu leurs parts diminuer de 26% à 16% dans le même temps. Les comportements comme ceux que nous dénonçons sont au cœur de cette croissance des géants de la technologie et doivent être stoppés. »

Selon ces éditeurs, « ce comportement nuit à l’industrie informatique et limite le choix des clients. Nous voulons que les gouvernements agissent et forcent Microsoft à assurer des conditions de concurrence équitables ».

Ils demandent ouvertement à l’Union Européenne de :

* Interdire toute fermeture de portes par la pratique du bundle, de la pré-installation ou de la promotion intégrée des services Microsoft.

* Imposer des standards ouverts et l’interopérabilité facilitant la migration.

Certes, l’intégration de Teams dans Windows 11 est contestable. Certes, Microsoft a aussi étrangement complexifié l’installation d’autres navigateurs sous Windows 11, tout en ouvrant son Microsoft Store aux navigateurs concurrents (ce qui est nouveau).  Reste que l’on voit mal comment l’Union Européenne peut interdire à une entreprise de faire de l’autopromotion de ces services. Et on rappellera que le fameux « Ballot Screen » imposé par l’UE en mars 2010 pour assurer la promotion d’une variété de navigateurs dans Windows (écran qui a survécu pendant 4 ans) n’a pas vraiment changé la donne et aidé une concurrence qui s’est au passage fait étouffer non pas par Microsoft mais par Google Chrome.

Quant à imposer des standards ouverts et l’interopérabilité, on rappellera que les standards ouverts existent depuis plus de 20 ans en bureautique et que l’interopérabilité n’a jamais été aussi pratiquée et simple dans l’IT depuis que tout est « API » et « plateformes ».

C’est donc reparti pour des débats interminables et une bataille d’avocats. En espérant que cela n’aboutira pas à une décision aussi ridicule et inutile que celle qui avait menée dans les années 2000 à la création d‘un « Windows N » dont personne n’a jamais voulu.

La vraie question est de savoir comment faire pour assurer une meilleure promotion des solutions européennes et s’assurer que les utilisateurs européens connaissent et soient en mesure de privilégier les solutions européennes. Autrement dit, comment faire pour que l’écosystème européen soit plus cohérent, plus fort, plus attractif face à aux Américains et aux Chinois. Ce qui nous ramène, une nouvelle fois, aux débats actuels sur la souveraineté numérique européenne.